La fortune d’Elon Musk relance le débat sur le pouvoir des fortunes extrêmes

Fortunes colossales et enjeux démocratiques

Dans l’émission Tout un Monde, l’historien Matthieu Leimgruber, professeur d’histoire moderne à l’Université de Zurich, rappelle que les rémunérations gigantesques ravivent une interrogation vieille comme le monde : jusqu’où une société démocratique peut-elle tolérer des concentrations de richesse sans remettre en cause ses principes ?

Il précise que ces questions ont traversé l’histoire et se posent encore aujourd’hui : Comment les approcher, faut-il les accepter, ou envisager de nouvelles formes d’imposition pour ces fortunes ?

Symboles et enseignements historiques

Sur le plan médiatique, Rockefeller est souvent représenté par des images fortes, évoquant une pieuvre géante ou un serpent maléfique. L’historien rappelle que Rockefeller est considéré comme le premier milliardaire de l’histoire moderne : sa fortune d’un milliard de dollars était, à l’époque, proportionnellement plus élevée que celle d’Elon Musk aujourd’hui. Cette comparaison illustre comment les fortunes extrêmes alimentent des débats sociétaux importants, quel que soit l’époque.

À l’époque, ces polémiques ont conduit à la dissolution de Standard Oil, le conglomérat pétrolier fondé par Rockefeller, illustrant une intention de limiter les monopoles et de réguler des fortunes jugées excessives.

La comparaison la plus pertinente, selon l’historien, oppose Elon Musk à Henry Ford, qui présentait aussi une image d’inventeur visionnaire, prêt à transformer le monde plutôt qu’à rechercher l’argent seul : « Musk cherche à changer le monde avec Tesla et les robots », résume-t-il.

Mais derrière cette analogie se cachent des zones d’ombre : Henry Ford était aussi une personnalité politiquement clivée et, en partie, antisémite, en réaction à ce qu’il percevait comme une opposition à Wall Street, ce qui rappelle certaines questions d’époque et leurs résonances actuelles.

Des fortunes helvétiques et les interrogations sur le pouvoir

En Suisse, Emil Bührle, industriel zurichois et dirigeant d’Oerlikon-Bührle, est cité parmi les exemples marquants. Pendant la Seconde Guerre mondiale, ses ventes d’armes l’ont hissé au rang de l’homme le plus riche du pays, avec près de 100 millions de francs de l’époque. Cette fortune a aussi suscité des débats importants, rappelle l’historien.

Selon lui, les concentrations extrêmes de richesse posent, depuis le milieu du XIXe siècle, des questions sur le fonctionnement des sociétés démocratiques, notamment en matière d’influence politique et de redistribution. L’exemple d’Elon Musk illustre ce phénomène, puisqu’un acteur sans mandat électif peut intervenir dans des débats publics impliquant l’action de l’État.

Au-delà du cas Musk, les questions essentielles restent : dans nos démocraties, une accumulation extrême de richesse ne biaise-t-elle pas le contrôle, le pouvoir et les priorités sociétales ?

Propos recueillis par : Eric Guevara-Frey
Adaptation web : Miroslav Mares

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